Outiller le dessin
Exposition présentée dans le cadre de drawing room 016
14-18 septembre 2016
Commissariat: Johana Carrier & Joana Neves pour la Plateforme Roven
Avec: Silvia Bächli, Charbel-joseph H. Boutros, Isabelle Cornaro, Detanico & Lain, Peter Downsbrough, Richard Fauguet, Kristján Guðmundsson, Jane Hammond, David Hammons, Hippolyte Hentgen, Benjamin Hochart, Marie-Jeanne Hoffner, Laurent Le Deunff, Daphné Le Sergent, Sol LeWitt, Anthony McCall, François Morellet, Marine Pagès, Michel Paysant, Chloe Piene, Ève Pietruschi, Diogo Pimentão, Julien Prévieux, Amanda Riffo, Jean-Luc Verna, Jorinde Voigt, Elsa Werth
Visite "point de vue" avec Johana Carrier dimanche 18 septembre à 15h
http://www.drawingroom.fr/blog/evenements/
La Panacée — Centre d’art contemporain
14 rue de l’école de pharmacie 34000 Montpellier
www.lapanacee.org
Extrait du texte accompagnant l'exposition:
Outiller le dessin
Outiller : (verbe trans.) Pourvoir, munir des outils, des machines nécessaires à un travail, à une production. Pourvoir des éléments, des structures nécessaires à l’exercice d’une activité. […] Doter quelqu’un des moyens nécessaires pour exercer une activité intellectuelle[1].
Suite à l’avènement de l’art conceptuel, le concept est devenu
principe – immatériel, spirituel, idéal, parfois mystique – de la
pratique artistique qui, elle-même, n’en demeure pas moins un faire.
L’exposition Outiller le dessin se
situe le long de la frontière entre l’idée et la pratique, là où celles-ci se
frottent de façon originale, faisant de notre période un moment charnière ou
les processus de pensée deviennent aussi concrets que le graphite ou les
calculs mathématiques. À l’invitation de drawing
room 016 nous avons sélectionné des œuvres d’artistes qui déploient,
systématiquement ou ponctuellement, la portée de différents outils du dessin.
Mais qu’entendons-nous par « outiller le dessin » ?
La verbalisation du substantif « outil » s’avère être une vraie
réflexion sur la notion même de « moyen ». Loin d’être une simple
tautologie – donner des outils à une pratique, le dessin, lui-même traditionnellement
compris comme un outil –, notre titre explore la redéfinition du dessin au
fil du xxe siècle.
Ainsi, les mots-clés issus de la définition du dictionnaire – machine,
élément, structure, moyen, activité intellectuelle – se retrouvent dans
les multiples ramifications du modernisme. Vassily Kandinsky a creusé les outils
graphiques pour n’en garder que les éléments constitutifs essentiels ; Sol
LeWitt a, quant à lui, bel et bien envisagé l’idée comme une machine qui fait
œuvre. Si le dessin fut traditionnellement un outil employé pour s’essayer à
des techniques et des formes, pour projeter des sculptures, des scènes de
théâtre, parmi d’autres réalisations, il a aussi constitué l’un des refuges de
l’art conceptuel pour des artistes comme Hanne Darboven, Mel Bochner, Denis
Oppenheim, ou même André Raffray, et tant d’autres. Par ailleurs, et peut être justement
par sa disponibilité et son ouverture au-delà des genres artistiques, le dessin
nous permet de nous concentrer sur un langage propre au processus, à
l’inscription, à l’écriture, par l’intermédiaire de son paradigme le plus
élémentaire, la ligne.
Ce qui nous amène aux manifestations théoriques sur lesquelles s’appuie la
pratique du dessin, bref, à ses outils de pensée (la ligne, la perspective, le
plan, le point, etc.). C’est ainsi que n’importe
quelle marque, par n’importe quel moyen, sur une variété de surfaces peut détacher
le dessin de ses matériaux habituels – le papier et la mine de graphite.
Où, alors, retrouve-t-on le dessin ? Une des réponses immédiates est sans
doute l’ordinateur, ou le programme informatique pour être exact, avec son
prolongement machinique du scanner, de l’imprimante et de la projection vidéo.
Si l’on revient aux sources, un outil est donc tout matériau
utilisé pour la réalisation d’un dessin, dans toutes ses étapes : le
crayon, l’aquarelle, le fusain, la feuille de papier, mais aussi le programme
informatique, l’impression, le découpage, le collage, etc. En allant au-delà de
ces fondements, que se passe-t-il quand les outils sont soumis a de nouvelles
contraintes, quand ils servent, par exemple, à la réalisation d’une œuvre dans un
autre medium ? Le dessin, en fournissant l’armature même de notre monde en
trois dimensions (la perspective), ou en se plaçant comme un allié du phénomène
chimique de la photographie à ses débuts (le « crayon de la nature »
selon William Henri Fox Talbot), pénètre notre monde physique.
Mais comment nous y retrouver, dans cet outillage du
dessin ? N’encourt-on pas le risque d’écraser l’univers de chaque artiste
sous une perspective utilitaire ? Compte-tenu de l’espace (une cimaise
longue de 15 m avec la possibilité d’accrocher de part et d’autre), nous
avons commencé par établir deux grandes familles d’artistes selon deux
tendances plus ou moins explicites dans le travail de chacun d’eux. D’autant
plus que, lorsqu’il s’agit de dessin, tout choix technique devient aussi un
choix philosophique : qu’il se fasse ligne parcourant ou découpant des
images imprimées ou bien qu’il se plie à des matériaux excentriques, tout geste
de dessin, ainsi ramené à son langage élémentaire, peut potentiellement devenir
un geste politique, éthique, ontologique…
Nous avons ainsi, sur le mur tourné vers l’extérieur, un
ensemble d’œuvres qui établissent un lien entre corps découpé et corps du
dessin, s’appuyant sur des images du corps morcelé par le biais de
manipulations des matériaux, de techniques renversées. De l’autre côté du mur
nous avons rassemblé des œuvres qui associent des structures mentales ou
corporelles au diagramme, qui semble être le lien entre les deux, souvent grâce
à la machine ou au geste fonctionnant comme tel.
[...]
Johana Carrier & Joana Neves, août 2016